Brasserie et Biere d'Orval
Dominique Simonet - Mis en ligne le 01/05/2011
Longer les murs de l'Abbaye pour être entouré d’un halo parfumé de malt et de houblon en passant à la hauteur de la brasserie qui, par la volonté de la communauté religieuse, se trouve dans l’enceinte du monastère. C’est l’un des critères pour faire partie du cercle très fermé des sept bières trappistes.
Orval, un nom qui résonne à l’oreille aussi divinement que le breuvage imprègne les papilles. Une réputation mondiale pour une petite brasserie farouchement indépendante, attachée à son terroir gaumais, gouvernée par les moines eux-mêmes, présents majoritairement au conseil d’administration. Qu’on ne s’y trompe pas : il y avait bien une tradition brassicole ici au Moyen Age, mais il n’y a aucun lien entre la brasserie ancienne et celle du début des années trente : "On a totalement recréé la brasserie, explique François de Harenne, son directeur, sans la prétention de faire renaître une ancienne bière".
Dans la magnifique salle de brassage, la lumière filtre notamment par des vitraux jouant sur le thème brassicole. Il y fait chaud, et pour cause : ça bouillonne là-dedans. Les deux premières cuves jumelles servent à transformer en sucre l’amidon de l’orge malté par hydrolyse enzymatique. Le malt concassé est mélangé à de l’eau chaude, fortement minéralisée, provenant de la fontaine Mathilde jaillissant au sein de l’abbaye. C’est le brassage par infusion. Le maltage, qui consiste à faire germer puis chauffer l’orge, génère des enzymes qui vont s’attaquer aux molécules d’amidon par paliers de température - 63°, 72°- suivant leur spectre d’activité. La maîche ainsi formée est ensuite filtrée par une grille située dans le fond de la cuve, libérant un liquide appelé moût. Infusion et filtration dans la même cuve, il s’agit là d’une méthode rarement utilisée en Belgique, une technique d’origine anglaise qui fait dire que l’Orval est une bière de type "ale".
"Ale", peut-être, mais pas "pale". C’est le malt qui donne sa couleur à la bière. En fonction de la température à laquelle la céréale est travaillée, elle devient plus ou moins foncée. L’Orval doit sa couleur ambrée à un mélange de malts pâles et caramel, éventuellement corrigé par des petites quantités de malts foncés.
Transféré dans une deuxième cuve, installée dans la même salle aux vitraux, le moût porté à ébullition subit une deuxième opération : outre du candi pour élever le taux de sucre, du houblon y est ajouté sous forme de pellets et d’extraits. C’est le premier houblonnage.
Le second a lieu dans la salle, beaucoup plus fraîche, de la première fermentation. Sous l’action de levures spécifiques, le sucre du moût se transforme en alcool et en gaz carbonique. Dans les grandes cuves inox cylindro-coniques, l’ensemencement se fait entre 14 et 22°, "températures auxquelles nos levures aiment bien travailler, précise François de Harenne. Si elles veulent travailler trop vite, on fait passer de l’eau glacée dans la double enveloppe de la cuve, qui va les calmer. Si elles sont paresseuses, on laisse la température s’élever un peu ".
Après cette fermentation principale, dite haute, parce que effectuée à température proportionnellement élevée, ce qu’on peut d’ores et déjà appeler de la bière passe en salle de garde : trois semaines à 15° dans 28 tanks horizontaux d’une capacité de 100 hectolitres chacun. Durant cette période, de 9 à 11 sacs de houblon sont ajoutés, "comme le sachet de thé dans la théière". La macération fait se répandre dans la bière les huiles essentielles - ou à parfum - de la fleur de houblon. Pour le plaisir du nez cette fois. Ce houblonnage, dit "à cru", est une technique, anglaise elle aussi, appelée "dry hopping", houblon se disant "hop" outre-Manche.
A son lancement, au début des années trente, la brasserie engagea l’Allemand Martin Pappenheimer. C’est probablement à lui que l’on doit d’avoir une bière très houblonnée, selon la tradition allemande, donc très amère, mais aussi de longue conservation. Ensuite, intervint le Belge Jan van Huele qui, pour avoir longtemps séjourné en Angleterre, se faisait appeler John. Il appliqua à Orval l’infusion à l’anglaise en salle de brassage et le dry hopping en cave. "Cela donne une combinaison unique de méthodes allemandes et anglaises", explique le directeur.
L’autre secret qui fait de l’Orval une bière spéciale d’entre les spéciales, c’est l’ajout, en ligne de production précédant la mise en bouteille, de sucre candi liquide et de levures sauvages de type brettanomyces. Celles qui circulent dans l’air de la vallée de la Senne et dont bénéficient lambics et gueuzes. "A la plupart des brasseurs, cela fait très peur, commente François de Harenne. Ils regardent ça comme une contamination, car c’est très difficile à maîtriser. Mais nous avons quatre personnes au labo pour une seule bière " Ces levures travaillent quand les autres ont fini leur boulot; elles font la différence entre Orval jeune et resplendissant de maturité.
Lavage des bouteilles et soutirage sont, comme le reste, hautement automatisés, avec nombre de machines inspectrices. Rythme: 27000 bouteilles par heure. Après la tempête de l’embouteillage, le calme de la refermentation, trois à quatre semaines. 80000 bacs orange de 24 bouteilles reposent actuellement.
Dans le grand plan de modernisation de l’outil de production, qui a couru de 1995 à 2007, la capacité de la salle de brassage est passée de 100 à 270 hectolitres, soit de 30 à 81 000 futures bouteilles. "C’était notre goulot d’étranglement", dit M. de Harenne : une cave a été creusée pour augmenter la capacité de garde de six fois 20 hectos. Avec toutes les évolutions, la production de la brasserie s’élève à 65000 hectos en 2009 et 2010.
Pourtant, la demande est supérieure à l’offre. "Nous avons encore une petite marge de manœuvre", dit frère Xavier, économe de la communauté monastique. Mais l’entreprise a atteint sa maturité, "et nous ne cherchons pas à augmenter la production. C’est un choix de la communauté d’investir ici, sur place, au sein du monastère".
Dans un premier temps, l’essentiel des bénéfices de la brasserie a servi à la reconstruction de l’abbaye. Aujourd’hui, les revenus sont utilisés à la pérennité de l’entreprise, à l’entretien des bâtiments et, pour plus de 50 %, à des œuvres sociales. Si, en plus, déguster ce nectar, c’est accomplir une bonne action.